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IEA (2022), World Energy Outlook 2022, IEA, Paris /reports/world-energy-outlook-2022?language=fr, Licence: CC BY 4.0 (report); CC BY NC SA 4.0 (Annex A)
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Résumé
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a déclenché une crise énergétique mondiale
Nous traversons actuellement la première crise énergétique mondiale – un choc d’une ampleur et d’une complexité sans précédent. Des pressions sur les marchés s’étaient déjà manifestées avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais les actions de cette dernière ont transformé la reprise économique rapide qui a suivi la pandémie – et entraîné des tensions sur toutes les chaînes d’approvisionnement mondiales dont celles de l’énergie – en une véritable tourmente énergétique. La Russie était de loin le plus gros pays exportateur de combustibles fossiles, mais sa décision de restreindre ses livraisons de gaz naturel à l’Europe ainsi que les sanctions européennes à l’encontre des importations pétrolières et gazières en provenance de Russie sectionnent l’une des principales artères du commerce énergétique mondial. Tous les combustibles sont touchés mais les marchés gaziers se trouvent à l’épicentre de la crise, la Russie cherchant à exercer une pression en exposant les consommateurs à une augmentation des factures énergétiques et à des pénuries d’approvisionnement.
Les prix du gaz naturel sur les marchés au comptant ont atteint des niveaux jamais enregistrés auparavant, dépassant régulièrement l’équivalent de 250 USD le baril de pétrole. Les prix du charbon ont eux aussi atteint des niveaux records, tandis que le pétrole est monté bien au-dessus des 100 USD/baril à la mi-2022 avant de redescendre. La hausse des prix du gaz et du charbon est responsable de 90 % de la hausse des coûts de l’électricité dans le monde. Pour compenser les ruptures d’approvisionnement en gaz russe, l’Europe doit importer 50 milliards de mètres cubes (mmc) de gaz naturel liquéfié (GNL) de plus qu’en 2022. Cet accroissement des importations européennes a été facilité par le recul de la demande de la Chine, dont la consommation de gaz a été freinée par des confinements et une croissance économique en demi-teinte. Mais en augmentant sa demande, l’Europe a détourné vers elle une partie du GNL destiné à d’autres importateurs d’Asie.
La crise a attisé les pressions inflationnistes et créé un danger imminent de récession, en même temps qu’elle offre aux producteurs d’énergie fossile une manne financière considérable de 2 000 milliards USD de plus que leur revenu net de 2021. La hausse des prix de l’énergie aggrave également l’insécurité alimentaire dans beaucoup d’économies en développement, les plus impactés étant les ménages les plus démunis qui consacrent une part accrue de leur revenu à l’énergie et à l’alimentation. Quelque 75 millions de personnes qui venaient d’accéder à l’électricité risquent de perdre la capacité de la payer, ce qui signifie que pour la première fois depuis que nous suivons cet indicateur, le nombre total de personnes sans accès à l’électricité dans le monde a commencé à augmenter. De plus, près de 100 millions de personnes pourraient être contraintes de renoncer à des modes de cuisson propres et sains pour s’en remettre à nouveau au bois à brûler.
Confrontés aux pénuries et à la flambée des prix de l’énergie, les gouvernements ont jusqu’à présent engagé bien plus de 500 milliards USD, principalement dans les économies avancées, pour protéger les consommateurs des effets immédiats de la crise. Ils ont agi très rapidement pour tenter d’assurer des approvisionnements de substitution et des stocks de gaz adéquats. D’autres mesures à court terme ont consisté à augmenter la production des centrales électriques à fioul et à charbon, prolonger la durée de vie de certaines centrales nucléaires, et accélérer le calendrier de nouveaux projets renouvelables. Les mesures axées sur la demande n’ont, dans l’ensemble, pas bénéficié de la même attention ; l’amélioration de l’efficacité énergétique est pourtant un aspect essentiel de la réponse à apporter à court et plus long terme.
La crise est-elle un catalyseur ou un frein pour la transition énergétique ?
Le choc énergétique actuel, et la persistance de l’extrême vulnérabilité des marchés de l’énergie, nous rappellent combien l’ensemble de notre système énergétique est fragile et non durable. Une question fondamentale se posant aux décideurs, ainsi que dans cette édition du World Energy Outlook (WEO, Perspectives énergétiques mondiales), est celle de savoir si la crise freinera les transitions énergétiques ou, au contraire, catalysera une action plus rapide. Les politiques climatiques et les engagements « zéro émission nette » ont été accusés par certains de contribuer à la hausse des prix de l’énergie, mais les preuves en ce sens sont maigres. Dans les régions les plus touchées, on note une corrélation positive entre la présence de plus grandes parts d’énergies renouvelables et un faible prix de l’électricité ; une meilleure isolation des logements et un recours au chauffage électrique ont également protégé un certain nombre – bien qu’insuffisant – de consommateurs.
Les périodes de crise concentrent l’attention sur les gouvernements et sur leurs réactions. Beaucoup d’entre eux, après avoir pris des mesures à court terme, adoptent maintenant des actions à plus longue échéance, certains pour s’efforcer d’accroître ou diversifier leurs approvisionnements pétroliers et gaziers, et beaucoup pour accélérer les changements structurels. Les trois scénarios que cette édition du WEO explore se distinguent principalement par leurs hypothèses concernant les politiques publiques. Le scénario « Politiques annoncées » (Stated Policies Scenario, STEPS) montre la trajectoire qu’impliquent les politiques publiques actuelles. Le scénario « Nouveaux engagements annoncés » (Announced Pledges Scenario, APS) suppose que toutes les cibles ambitieuses annoncées par les gouvernements sont atteintes dans les temps et dans leur intégralité, y compris les objectifs à long terme d’émissions nettes nulles et d’accès à l’énergie. Enfin, le scénario « Zéro émission nette à l’horizon 2050 » (Net Zero Emissions by 2050, NZE) cartographie la trajectoire permettant de stabiliser à 1.5 °C l’élévation des températures moyennes mondiales et de garantir l’accès de tous à des services énergétiques modernes d’ici à 2030.
Les politiques de réponse accélèrent l’émergence d’une économie des énergies propres
Les nouvelles mesures en vigueur sur les plus grands marchés énergétiques soutiennent la progression de l’investissement annuel dans les énergies propres au-delà de 2 000 milliards USD d’ici à 2030 dans le scénario STEPS, soit plus d’une fois et demie leur niveau d’aujourd’hui. Les énergies propres commencent à offrir d’excellentes perspectives de croissance et d’emploi et deviennent un terrain majeur de compétitivité économique à l’échelle internationale. D’ici 2030, en grande partie grâce à la loi américaine sur la réduction de l’inflation (US Inflation Reduction Act), l’augmentation annuelle de la puissance installée éolienne et solaire des États-Unis sera deux fois et demi plus élevée qu’actuellement, et les ventes de voitures électriques seront quant à elles multipliées par sept. Les nouveaux objectifs continuent de stimuler le déploiement massif des énergies propres en Chine, conduisant sa consommation de charbon et de pétrole à atteindre leur pic avant la fin de cette décennie. Dans l’Union européenne, le déploiement accéléré des renouvelables et des améliorations de la performance énergétique fait baisser la demande de pétrole et de gaz naturel de 20 % au cours de cette décennie, et celle de charbon de 50 %, une évolution d’autant plus urgente que l’UE a besoin de développer de nouvelles sources d’avantages économiques et industriels au-delà du gaz russe. Le programme de Transformation Verte (Green Transformation, GX) du Japon stimule fortement le financement des technologies telles que le nucléaire ainsi que l’hydrogène et l’ammoniac à faibles émissions, tandis que la Corée cherche également à accroître la part du nucléaire et des renouvelables dans son mix énergétique. L’Inde se rapproche de son objectif de disposer d’une capacité domestique en énergies renouvelables de 500 gigawatts (GW) en 2030, et ces énergies renouvelables satisfont près des deux tiers de sa demande d’électricité, en très forte croissance.
Clean energy investment in the Stated Policies Scenario, 2015-2030
OuvrirÀ mesure que les marchés retrouvent l’équilibre, les énergies renouvelables, soutenues par le nucléaire, enregistrent des gains de progression réguliers ; le rebond du charbon, lié à la crise actuelle, est temporaire. La croissance de la production d’électricité issue d’énergies renouvelables est suffisamment rapide pour dépasser celle de la production d’électricité totale, ce qui réduit la contribution des combustibles fossiles au secteur. La crise fait brièvement monter les taux d’utilisation des centrales à charbon existantes, mais n’induit pas d’augmentation d’investissement dans de nouvelles installations de la filière. Le renforcement des politiques publiques, des perspectives économiques en demi-teinte et le niveau élevé des prix à court terme contribuent à modérer la croissance de la demande énergétique mondiale. Les hausses de demande ont principalement lieu en Inde, en Asie du Sud-Est, en Afrique et au Moyen-Orient. Cependant, l’augmentation de la consommation d’énergie de la Chine, qui a été un moteur si important des tendances énergétiques mondiales au cours des deux dernières décennies, ralentit et va jusqu’à s’interrompre avant 2030, à mesure que l’économie chinoise se réoriente vers les services.
Le commerce international de l’énergie connait une profonde réorientation dans les années 2020, à mesure que les pays s’adaptent à la rupture des échanges entre la Russie et l’Europe, considérée comme permanente. Les flux russes autrefois destinés à l’Europe ne trouvent pas tous preneur sur d’autres marchés, ce qui fait reculer la production russe et l’offre mondiale. Les marchés du pétrole brut et de ses dérivés, en particulier le diesel, traversent des turbulences à l’entrée en vigueur des sanctions de l’UE interdisant les importations en provenance de Russie. Les marchés du gaz naturel mettent plus longtemps à s’adapter. L’hiver à venir dans l’hémisphère nord promet d’ailleurs d’être un moment critique pour les marchés du gaz, et de mettre à l’épreuve la solidarité de l’UE – et l’hiver de 2023-24 pourrait être plus difficile encore. Les principales augmentations d’approvisionnement en GNL – surtout en Amérique du Nord, au Qatar et en Afrique – ne se matérialisent qu’au milieu des années 2020. Dans l’intervalle, les cargaisons disponibles sont soumises à une vive concurrence, du fait d’un nouveau rebond de la demande d’importation de la Chine.
Le renforcement actuel des politiques publiques laisse apparaître un pic des énergies fossiles
Pour la première fois, un scénario du WEO fondé sur le les politiques publiques existantes voit la demande mondiale de chaque combustible fossile atteindre un pic ou un plateau. Dans le scénario STEPS, la consommation de charbon recommence à baisser d’ici quelques années, la demande de gaz naturel atteint un plateau avant la fin de la décennie et, avec l’augmentation des ventes de véhicules électriques, la demande de pétrole se stabilise au milieu des années 2030 avant de reculer légèrement en milieu de siècle. La demande totale de combustibles fossiles décline de manière constante du milieu des années 2020 jusqu’à 2050 d’environ deux exajoules par an en moyenne, une réduction annuelle globalement équivalente à la production d’un grand gisement pétrolier pendant toute sa durée d’exploitation.
La consommation mondiale de combustibles fossiles a augmenté avec le PIB depuis le début de la Révolution industrielle au XVIIIe siècle : inverser cette tendance sans freiner l’expansion de l’économie mondiale marquera un tournant dans l’histoire de l’énergie. La part des combustibles fossiles dans le mix énergétique mondial est restée obstinément élevée, autour de 80 %, depuis des décennies. Dans le scénario STEPS, cette part passe sous les 75 % d’ici à 2030, et dépasse légèrement les 60 % à l’horizon 2050. Les émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie culminent à 37 milliards de tonnes (Gt) en 2025 dans le scénario STEPS, puis reviennent à 32 Gt d’ici à 2050. Une telle évolution serait associée à une élévation des températures moyennes mondiales d’environ 2.5 °C d’ici à 2100. Ce résultat est meilleur que celui que donnaient les projections d’il y a quelques années : l’action publique redynamisée et les avancées technologiques réalisées depuis 2015 ont permis de réduire d’environ 1 °C l’élévation de la température à long terme. Cependant, un recul des émissions annuelles de CO2 de 13 % seulement à l’horizon 2050 dans le Scénario STEPS est loin d’être suffisant pour éviter les graves conséquences qu’implique changement climatique.
Fossil fuel demand in the Stated Policies Scenario, 1900-2050
OuvrirLa pleine mise en œuvre de tous les engagements climatiques favoriserait un avenir plus sûr pour la planète, mais un fossé sépare encore les ambitions actuelles d’une stabilisation à 1.5 °C. Dans le scénario APS, les émissions annuelles atteignent leur pic à court terme avant de redescendre, dans un déclin plus rapide, à 12 Gt d’ici à 2050. Cette réduction, plus forte que dans le scénario APS du WEO-2021, traduit les nouveaux engagements pris l’an passé, par l’Inde et l’Indonésie notamment. S’ils sont réalisés dans les délais et dans leur intégralité, ces engagements nationaux supplémentaires – ainsi que les engagements sectoriels de certaines industries et les objectifs adoptés par les entreprises (pris en compte pour la première fois dans le scénario APS de cette année) – permettent de maintenir autour de 1.7 °C l’élévation de la température en 2100 dans le scénario APS. Il est néanmoins plus facile de prendre des engagements que de les tenir et, même s’ils sont tenus, il reste encore un chemin considérable pour atteindre le scénario NZE qui permet de rester à une température mondiale de 1.5 °C en ramenant les émissions annuelles à 23 Gt d’ici à 2030 et en atteignant des émissions nettes nulles à l’horizon 2050.
Global energy related CO2 emissions by scenario, 1990-2050
OuvrirStimulés par l’électricité bas-carbone, certains secteurs sont prêts pour une transformation accélérée
Le monde est entré dans une décennie critique pour faire advenir un système énergétique plus sûr, durable et aux coûts abordables – les perspectives d’accélération des progrès sont prodigieuses si des actions fortes sont engagées immédiatement. Les investissements dans l’électrification et l’électricité bas-carbone, avec l’expansion et la modernisation des réseaux, offre des possibilités claires et rentables de réduire plus vite les émissions tout en abaissant les coûts de l’électricité sous leurs niveaux élevés du moment. Les taux de croissance actuels du déploiement du solaire photovoltaïque, de l’éolien, des véhicules électriques et des batteries, s’ils se maintiennent, accéléreraient la transformation bien au-delà de ce que projette le scénario STEPS, mais cela nécessiterait des politiques publiques de soutien à travers le monde, et pas seulement sur les marchés en pointe sur ces technologies. En 2030, si les pays tiennent leurs engagements climatiques, la moitié des voitures vendues dans l’UE, en Chine et aux États-Unis seront électriques.
Les chaînes d’approvisionnement de certaines technologies clés – dont les batteries, le solaire photovoltaïque et les électrolyseurs – se développent à des vitesses à même de soutenir des ambitions mondiales plus audacieuses. Si tous les plans de croissance annoncés dans la construction photovoltaïque se concrétisaient, les capacités de production dépasseraient d’environ 75 % les niveaux de déploiement en 2030 dans le Scénario APS et approcheraient les niveaux requis dans le Scénario NZE. Dans le cas des électrolyseurs destinés à la production d’hydrogène, la capacité issue de la réalisation de tous les projets annoncés serait supérieure de moitié par rapport aux niveaux en 2030 dans le Scénario APS. Dans le secteur des véhicules électriques, l’expansion des capacités de production de batteries traduit l’évolution à l’œuvre dans l’industrie automobile qui, à certains moments, a pu être plus prompte que les gouvernements à établir des objectifs en matière d’électromobilité. Ces chaînes d’approvisionnement relatives aux énergies propres sont une formidable source de croissance de l’emploi : les emplois du secteur des énergies propres dépassent déjà en nombre ceux des secteurs des combustibles fossiles à l’échelle mondiale et devraient, selon les projections, passer de 33 millions environ aujourd’hui à près de 55 millions en 2030 dans le scénario APS.
Announced manufacturing capacity compared with Net Zero Scenario deployment, 2030
OuvrirL’efficacité énergétique et les énergies propres connaissent un regain de compétitivité
Les prix élevés actuels de l’énergie mettent en évidence les bénéfices liés à l’accroissement de l’efficacité énergétique, et incitent à modifier les comportements et les technologies dans certains pays pour réduire la consommation d’énergie. Les mesures en faveur de l’efficacité énergétique peuvent avoir des effets spectaculaires – les ampoules d’aujourd’hui consomment au moins quatre fois moins que celles qui étaient en vente il y a vingt ans – mais il reste encore beaucoup à faire. La demande en climatisation requiert une attention particulière de la part des responsables de l’action publique, car elle constitue le deuxième facteur d’augmentation globale de la demande mondiale d’électricité dans les décennies à venir (après les voitures électriques). Actuellement, beaucoup d’appareils de climatisation ne doivent se conformer qu’à des normes d’efficacité peu exigeantes et, dans les économies émergentes et en développement, un cinquième de la demande électrique à des fins de climatisation n’est soumise à aucune norme. Dans le scénario STEPS, la demande en climatisation des économies émergentes et en développement augmente de 2 800 térawattheures en 2050, soit l’équivalent de l’ajout d’une deuxième Union européenne à la demande mondiale actuelle d’électricité. Cette hausse est divisée par deux dans le scénario APS en raison de normes d’efficacité plus strictes et d’une conception et d’une isolation des bâtiments de meilleure qualité ; elle est encore divisée par deux dans le scénario NZE.
Les préoccupations concernant les prix de l’énergie, la sécurité énergétique et les émissions – auxquelles s’ajoute le renforcement des politiques publiques – offrent des perspectives plus favorables à de nombreuses sources d’énergie à faibles émissions. L’investissement dans les gaz à faibles émissions doit augmenter fortement dans les années à venir. Dans le scénario APS, la production mondiale d’hydrogène à faibles émissions passe de son très faible niveau actuel à plus de 30 millions de tonnes (Mt) par an en 2030, soit l’équivalent de plus de 100 mmc de gaz naturel (même si tout l’hydrogène à faibles émissions n’est pas appelé à remplacer le gaz naturel). Celui-ci est surtout produit non loin de son lieu d’utilisation, mais une dynamique d’échanges internationaux de l’hydrogène et des combustibles qui en sont dérivés se développe. Des projets représentant une capacité d’exportation potentielle de 12 Mt se trouvent à des stades de planification variables ; pour autant, ils sont plus nombreux et plus avancés que les projets correspondants axés sur la demande et les infrastructures d’importation. Les projets de captage, de stockage et de valorisation du carbone avancent aussi plus rapidement qu’avant, favorisés par une action publique renforcée en faveur de la décarbonation de l’industrie, de la production de combustibles à faibles ou à plus faibles émissions et du développement de projets de captage direct permettant d’extraire le carbone de l’atmosphère.
Mais la rapidité des transitions énergétiques dépend en définitive de l’investissement
Il est indispensable d’augmenter fortement les investissements énergétiques pour réduire les risques futurs de flambée et de volatilité des prix et pour mettre le cap sur l’objectif d’émissions nettes nulles à l’horizon 2050. L’investissement dans les énergies propres passe de 1 300 milliards USD aujourd’hui à plus de 2 000 milliards USD en 2030 dans le scénario STEPS, mais il faudrait qu’il dépasse 4 000 milliards USD à la même date selon le scénario NZE, ce qui montre la nécessité d’attirer de nouveaux investisseurs dans le secteur de l’énergie. Les gouvernements devraient montrer la voie et établir des orientations stratégiques fermes, mais les investissements requis excèdent de loin la contribution possible des financements publics. Il est donc vital de mettre à profit les vastes ressources des marchés et d’inciter les acteurs privés à jouer leur rôle. Aujourd’hui, pour un dollar dépensé dans le monde pour les combustibles fossiles, c’est 1.5 USD qui est investi dans les technologies liées aux énergies propres. D’ici à 2030, dans le scénario NZE, pour chaque dollar alloué aux combustibles fossiles, 5 USD sont investis dans l’approvisionnement en énergies propres et 4 USD de plus dans l’efficacité énergétique et les usages finaux.
Le manque d’investissement dans les énergies propres est plus marqué dans les économies émergentes et en développement, un signal inquiétant compte tenu des projections de croissance rapide de leur demande en services énergétiques. Si l’on exclut la Chine, le montant investi chaque année dans les énergies propres dans les économies émergentes et en développement stagne depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015. En 2021, le coût d’investissement dans une centrale photovoltaïque était deux à trois fois plus élevé dans les grandes économies émergentes que dans les économies avancées et en Chine. La hausse actuelle des coûts d’emprunt pourrait aggraver les difficultés de financement auxquelles se heurtent ces projets, en dépit de leurs coûts sous-jacents favorables. La communauté internationale doit se remobiliser pour augmenter la finance climat et réduire les risques divers, à l’échelle de l’économie ou à celle des projets, qui découragent les investisseurs. Les stratégies nationales de transition de large portée, comme les Partenariats pour une transition énergétique juste avec l’Indonésie, l’Afrique du Sud et d’autres pays, qui intègrent soutien international et mesures nationales ambitieuses et prévoient également des garanties concernant la sécurité énergétique et les conséquences sociales du changement, revêtent en ce sens une valeur considérable.
La réactivité des investisseurs à des cadres et programmes à la fois larges et crédibles en faveur de la transition énergétique dépend en pratique d’un éventail de problématiques plus spécifiques. Les chaînes d’approvisionnement sont fragiles, et l’infrastructure et la main d’œuvre qualifiée ne sont pas toujours disponibles. Les échéances et les dispositions concernant la délivrance des autorisations sont souvent complexes et chronophages. Il est vital que les procédures d’approbation des projets soient claires et soutenues par des moyens administratifs adéquats, pour accélérer le flux des projets viables en quête de placements, que ce soit dans le secteur de l’offre d’énergies propres ou dans ceux de l’efficacité énergétique et de l’électrification. Notre analyse conclut que la procédure d’autorisation et la construction d’une seule ligne aérienne de transport d’électricité peuvent durer jusqu’à 13 ans, les délais étant souvent les plus longs dans les économies avancées. Le développement d’un nouveau gisement de minéraux critiques prend jusqu’ici 16 ans en moyenne, dont 12 ans consacrés à tous les aspects de la procédure d’autorisation et de financement, et 4 à 5 ans à la construction.
Et si les transitions ne prennent pas leur essor ?
Si l’investissement dans les énergies propres n’accélère pas comme dans le scénario NZE, une augmentation de l’investissement dans le secteur pétrolier et gazier serait nécessaire pour éviter une poursuite de la volatilité des prix des combustibles, mais cela reviendrait à mettre en danger l’objectif de 1.5 °C. Dans le scénario STEPS, les dépenses annuelles moyennes d’investissement dans la partie amont du secteur pétrolier et gazier s’élèvent à un peu moins de 650 milliards USD jusqu’en 2030, une augmentation de plus de moitié par rapport à ces dernières années. Cet investissement s’accompagne de risques, à la fois commerciaux et environnementaux, et ne peut pas être tenu pour acquis. En dépit des revenus inattendus considérables de cette année, seuls certains producteurs du Moyen-Orient investissent davantage aujourd’hui qu’avant la pandémie de Covid-19 dans la partie aval du secteur. Dans un climat d’inquiétude concernant la hausse des coûts, l’industrie américaine du gaz de schiste vise à présent une discipline en matière d’investissement plutôt qu’une augmentation de la production : principal moteur de la récente croissance mondiale du pétrole et du gaz, elle a ainsi partiellement perdu en vigueur.
Les baisses de production de combustibles fossiles en Russie devront être compensées par d’autres sources de production – même dans un monde engagé vers des émissions nettes nulles à l’horizon 2050. Les meilleurs substituts à court terme sont des projets à brefs délais de mise en œuvre qui permettent d’apporter rapidement du pétrole et du gaz sur le marché, ainsi que la capture d’une partie des 260 mmc de gaz gaspillés chaque année par le torchage et les fuites de méthane dans l’atmosphère. Mais les solutions durables à la crise actuelle passent par une réduction de la demande de combustibles fossiles. Nombre d’institutions financières ont défini des objectifs et des plans afin de réduire l’investissement dans ces combustibles fossiles. Il convient de porter une attention accrue aux objectifs et aux plans d’augmentation de l’investissement dans les transitions énergétiques, ainsi qu’aux mesures que les gouvernements peuvent prendre pour inciter à ces transitions.
La Russie sort perdante de la réorganisation des échanges internationaux
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a déclenché une réorientation complète des échanges énergétiques internationaux, la laissant dans une position très affaiblie. Dans nos précédents scénarios, tous les liens commerciaux de la Russie avec l’Europe fondés sur les combustibles fossiles avaient fini par être fragilisés par les ambitions liées à l’objectif d’émissions nettes nulles de l’Europe, mais la capacité de la Russie à livrer à des coûts relativement bas lui avait permis de ne perdre que graduellement du terrain. La rupture intervient désormais à une vitesse que peu de personnes pensaient possible. Dans ce WEO, davantage de ressources russes sont réorientées vers l’est, sur les marchés asiatiques, mais la Russie ne parvient pas à rediriger vers d’autres pays les flux qu’elle destinait auparavant à l’Europe. En 2025, la production pétrolière russe est inférieure de deux millions de barils par jour à celle que projetait le WEO-2021, et sa production de gaz a diminué de 200 mmc. Les perspectives à plus long terme sont assombries par les incertitudes qui entourent la demande, ainsi que par un accès restreint aux marchés financiers internationaux et aux technologies pour ce qui est du développement de gisements moins accessibles et de projets de GNL. Dans aucun de nos scénarios, les exportations russes de combustibles fossiles ne retrouvent leur niveau de 2021, et la part de la Russie dans les échanges internationaux de pétrole et de gaz est réduite de moitié d’ici à 2030 dans le scénario STEPS.
La réorientation de la Russie vers les marchés asiatiques est particulièrement difficile dans le cas du gaz naturel car les possibilités commerciales de livraisons supplémentaires à grande échelle vers la Chine sont limitées. La Russie prévoit d’établir de nouvelles liaisons par gazoduc vers la Chine, notamment avec le Power of Siberia 2 de grande capacité qui doit traverser la Mongolie. Cependant, nos projections de la demande chinoise soulèvent de sérieux doutes quant à la viabilité d’un autre gazoduc à grande échelle en provenance de Russie, une fois que le Power of Siberia existant aura atteint sa pleine capacité. Dans le scénario STEPS, la croissance de la demande de gaz de la Chine redescend à 2 % par an entre 2021 et 2030, après avoir été de 12 % par an en moyenne depuis 2010, une évolution qui reflète une préférence stratégique accordée aux renouvelables et à l’électrification plutôt qu’au gaz pour la production de chaleur et d’électricité. Les importateurs chinois ont très activement cherché à souscrire de nouveaux contrats d’approvisionnement en GNL à long terme, et la Chine a déjà des contrats adéquats pour satisfaire à sa demande telle que la projette le scénario STEPS dans les années 2030.
La décennie 2010 a-t-elle été « l’âge d’or du gaz » ?
Les actions de la Russie ont notamment eu pour conséquence de mettre un terme à la croissance rapide du gaz naturel. Dans le scénario STEPS, qui projette la plus forte consommation de gaz, la demande mondiale augmente de moins de 5 % entre 2021 et 2030 puis se stabilise autour de 4 400 mmc jusqu’en 2050. Les perspectives du gaz pâtissent de la hausse des prix à court terme ; du déploiement accéléré des pompes à chaleur et d’autres mesures d’efficacité énergétique ; du déploiement renforcé des renouvelables et de l’essor plus rapide d’autres solutions de flexibilité dans le secteur de l’électricité ; et, dans certains cas, du recours au charbon sur des durées légèrement plus longues. La loi sur la réduction de l’inflation contracte de plus de 40 mmc la demande américaine de gaz naturel projetée en 2030 dans le scénario STEPS par rapport aux projections de l’an dernier, d’où un volume de gaz supplémentaire disponible à l’exportation. En Europe, des politiques climatiques plus strictes accélèrent la transformation structurelle détournant du gaz. De nouveaux approvisionnements font baisser les prix au milieu des années 2020, et le GNL devient encore plus important pour la sécurité globale de la filière gaz. L’élan à l’origine de la croissance du gaz naturel dans les économies en développement a ralenti, notamment en Asie du Sud et du Sud-Est, ce qui entame la réputation de combustible de transition du gaz. La révision à la baisse de la demande de gaz d’ici à 2030 dans le scénario STEPS de cette année est due en majeure partie à un basculement plus rapide vers les énergies propres, bien qu’un quart environ de cette baisse soit attribuée au remplacement du gaz par le charbon et le pétrole.
Mettre l’accent sur des transitions abordables et sûres fondées sur des chaînes d’approvisionnement résilientes
Un nouveau paradigme de sécurité énergétique est nécessaire pour maintenir la fiabilité de l’approvisionnement énergétique et son accessibilité économique tout en réduisant les émissions. Ce WEO contient dix principes qui peuvent aider les responsables de l’action publique pendant la période où coexisteront des combustibles fossiles en perte de vitesse et des énergies propres en plein essor. Les transitions énergétiques ont besoin du bon fonctionnement de ces deux filières pour fournir les services énergétiques nécessaires aux consommateurs, même si la contribution relative de chaque filière évolue au fil du temps. Maintenir la sécurité d’approvisionnement avec les systèmes électriques de demain exige de faire appel à de nouveaux outils et à des mécanismes et approches plus flexibles pour s’assurer que les capacités demeurent suffisantes. Les centrales devront être plus réactives, les consommateurs plus connectés et flexibles, et les infrastructures de réseau devront être renforcées et mises à l’heure du numérique. Des approches inclusives, centrées sur les populations, sont essentielles pour permettre aux communautés vulnérables de supporter les coûts initiaux des technologies plus propres et pour faire en sorte que les bénéfices des transitions soient largement perçus, à tous les niveaux de la société. Même si les combustibles fossiles sont moins utilisés, certains pans de cette filière resteront déterminants pour la sécurité énergétique, notamment les centrales à gaz en période de pointe ou les raffineries approvisionnant les utilisateurs résiduels de carburants. La mise à l’arrêt non planifiée ou prématurée de ces infrastructures pourrait avoir des conséquences négatives sur la sécurité énergétique.
À mesure que le monde sort de la crise énergétique actuelle, nous devrons éviter les nouvelles vulnérabilités que pourraient causer la hausse et la volatilité des prix des minéraux critiques ou la concentration élevée des chaînes d’approvisionnement des énergies propres. Ces problèmes, s’ils ne sont pas correctement traités, pourraient retarder ou rendre plus coûteuses les transitions énergétiques. La demande en ressources minérales critiques au service des technologies des énergies propres devrait grimper pour être multipliée par plus de deux d’ici à 2030 dans le scénario APS. Le cuivre enregistre la plus forte hausse en termes de volumes absolus, mais d’autres ressources minérales critiques voient leur demande croître beaucoup plus vite, notamment le silicium et l’argent pour le solaire photovoltaïque, les terres rares pour les moteurs de turbines éoliennes et le lithium pour les batteries. L’innovation technologique soutenue et le recyclage sont des stratégies vitales pour alléger les pressions sur les marchés des ressources minérales critiques. La forte dépendance vis-à-vis de certains pays comme la Chine pour l’approvisionnement en minéraux critiques et pour les chaînes d’approvisionnement de nombreuses technologies propres est un risque pour les transitions, mais les options de diversification qui privent des avantages des échanges le sont aussi.
Share of top 3 countries in the production of selected mineral resources, 2021
OuvrirLa crise énergétique promet d’être un tournant historique sur le chemin vers un système énergétique plus propre et plus sûr
Les politiques et les marchés de l’énergie ont changé depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, pas seulement pour le présent, mais pour les décennies à venir. À l’argument environnemental en faveur des énergies propres, qu’il n’est nul besoin de corroborer, s’ajoutent l’argument économique en faveur de technologies propres rentables et abordables ainsi que celui de la sécurité énergétique, aujourd’hui renforcés. Cet alignement des priorités économiques, climatiques et des questions de sécurité énergétique a déjà initié une orientation vers une issue plus favorable pour la population mondiale et pour la planète. Beaucoup reste encore à faire et, au moment où l’élan nécessaire à ces efforts montera en régime, il est essentiel de s’assurer du concours de tous, en particulier à l’heure où les fractures géopolitiques autour des questions énergétiques et climatiques sont d’autant plus visibles. Cela signifie redoubler d’efforts pour qu’une large coalition de pays ait sa part dans la nouvelle économie de l’énergie. Le chemin vers un système énergétique plus sûr et durable comportera sans doute des obstacles, mais la crise actuelle nous montre très clairement les raisons pour lesquelles nous devons hâter le pas.